Visualisant les 6 volumes nées autour de l’oeuvre principale de Charles Darwin, ce projet permet d’analyser les modifications apparues progressivement à travers l’outil numérique. L’article ci-dessous considère l’apport qualitatif et innovatif du projet tout en tenant compte de ses limites.
Charles Darwin a théorisé au 19e siècle, après de longues recherches et voyages, que les espèces vivants sur Terre n’avaient pas été crées telles quelles, mais étaient issues d’une évolution et d’une adaptation à leur environnement pour y survivre (the survival of the fittest). Sa théorie sur l’origine des espèces fut publiée en 1859 en Angleterre sous le titre On the Origin of Species by Means of Natural Selection, or the Preservation of Favoured Races in the Struggle for Life. Cet ouvrage, en dépits des critiques de son temps, a été publié plusieurs fois et il l’est encore de nos jours.
Mais ce dont nous n’avons pas toujours conscience est qu’un texte n’est pas figé et définitif dans sa première version, et que l’auteur va le remanier et le retravailler en fonction de l’évolution de sa pensée et des critiques extérieures comme il est dit par Ben Fry, diplômé du Massachussetts Institute of Technology, dans l’introduction de son projet d’humanité numérique : The Preservation of Favoured Traces. Ce projet aspire à rendre « visibles » et donc plus clairement et rapidement perceptibles les changements survenus d’une édition à l’autre de l’œuvre du biologiste anglais. Ce dernier a au cours des six éditions remanié parfois subtilement le texte comme lors de la deuxième édition, ou drastiquement comme dans la sixième édition où le chapitre VII a été complètement réécrit en réponse aux critiques avancées contre la théorie de l’évolution des espèces : « I will devote this chapter to the consideration of various miscellaneous objections which have been advanced agains my views, as some of the previous discussions may thus be made clearer ; » ((http://darwin-online.org.uk/converted/pdf/1876_Origin_F401.pdf consulté le 02/03/15))
Le projet utilise et a été possible, comme le dit encore Fry, grâce à un autre projet précédent d’humanités numériques c.-à-d. The Complete Work of Charles Darwin Online datant de 2002 et mis en œuvre par le Professeur John van Wyhe et son équipe de la National University of Singapour, en collaboration avec la Cambridge University et nombre d’autres institutions de recherche anglaises et autres. Ce dernier projet a digitalisé et mis en ligne tous les écrits de Darwin et par conséquent les a rendu déjà utilisables pour le projet de visualisation de Fry.
The Preservation of Favoured Traces a été créé en 2009 et utilise le langage de programmation Processing conçu pour des applications de graphique et de langage visuel dont Fry est le co-développeur. ((https://processing.org/ consulté le 02/03/15)) C’est une idée très originale et efficace pour visualiser où et en quelle mesure le texte a changé, par contre la visualisation du comment est moins évidente. En effet, le programme souligne dans des couleurs différentes selon l’édition des parties du texte, en montrant où il a changé. Par conséquent, il est parfois intéressant de voir que par moment, des changements conséquents sur des chapitres entiers ont été appliqués. Très original est le fait de voir la progression de changements chapitre par chapitre qui donne un effet de réécriture en direct de l’oeuvre par Darwin même.
Au premier contact avec la page web du projet l’ensemble parait énigmatique car il est difficile de saisir en quoi consiste le projet, et en voyant la progression des couleurs il est difficile de comprendre que le texte change sous nos yeux. Si on veut relire et revoir les changements apportés à l’œuvre il est compliqué d’agrandir une partie du chapitre, ni même possible par fois, et il est alors nécessaire de consulter le site darwin-online.org.uk. Mais même avec ces petits défauts le projet est très intéressant et original et le fait de pouvoir « voir » les changements dans la globalité du texte fournit des points de réflexion intéressants sur l’œuvre de Darwin dans le cas présent, mais aussi sur d’autres ouvrages. Ce projet permet de nous rendre compte des modifications qu’un texte peut subir pas seulement au cours des éditions mais aussi dans les étapes préliminaires de la création d’une œuvre écrite.
Auteur: Beatrice Camar
Editeur: Sami Agel